vendredi 15 août 2008

From Turkey with love

Lundi 7 novembre 2005

Hôtel cinq étoiles quelque part dans les environs d’Antalya. Environs distaux. Quatre vingt kilomètres nous séparent du nouveau terminal aéroportuaire pour lequel nous avons dû payer dix-neuf euros de taxe.

Cocktail de bienvenue - crème à peine alcoolisée rouge, goût grenadine. S.P.A. Piscine. Massage. Hammam. Boule de cristal dans le hall. En toute logique, pas de chiottes à la turque dans les chambres.

Pancarte à la sortie de l’aéroport, suivez, c’est par là, étiquetage des bagages, pointage sur la liste, montée dans le bus. Le guide écrit son nom ainsi que celui du chauffeur directement sur le pare-brise: Kemal et Göckan. Ekel et Jeckel de ce séjour organisé par France Loisir, club eternam des lecteurs sous pression.

A l’autre bout du hall d’entrée de l’hôtel, une porte débouche sur une longue allée menant à la mer. Elle s’étend comme une nappe d’huile dans la clameur à chair rose du soir. La vulgaire piscine à colimaçon côtoie le sable fin de la mer Egée.

21h, lounge rempli d’allemands gueulards imbibés de cocktails dégueulasses. Pour accéder au bar, il faut franchir le jet de fléchettes, activité purement turque et authentique. Le barman ouvre des yeux tous ronds quand je lui dis que je suis mademoiselle à thirty two. Pour me plonger dans le pays, je me rabats sur le guide dont les pages offrent un panorama rapide: histoire, religion, société, politique, peuple. Le pays a trouvé sa définition dans le mélange. Une phrase qui sonne bien et qui est très appréciée dans les guides.

En France, les banlieues brûlent. Jusqu’ici tout va bien. Dans l’aquarium de la télévision, des flammes lèchent les murs d’une école maternelle. C’est fichu. C’est foutou. Répression ou capitulation face à cette société où les écarts se creusent toujours plus. Jusqu’ici tout va bien.

D’autres couples venus en couple parce que couple oblige s’emmerdent aux tables voisines. C’est rassurant. C’est l’oisiveté post-arrivée-en-pays-etranger. Un verre de bière et l’espoir de trouver la salle Internet, c’est tout ce que je possède pour tuer les heures de cette jeune nuit.

 
Lundi 8 novembre 2005

            Chambre d’hôtel cinq étoiles. Les lumières subaquatiques de la piscine extérieure se sont éteintes alors que je fumais ma dernière clope sur le balcon. Le bar est d’un ennui mortel. Je pense avec nostalgie à la toile de tente, le chiringuito que nous avons découvert près des Escullos dans le parc naturel de Cabo de Gata cet été. Quel lieu enchanteur… Regarder la nuit qui s’épaissit depuis nos petites chaises en bois parlant de notre futur qui jamais n’existera. Mais bref, passons. Porte close. Devant s’élève ce circuit en tour opérateur dans le sud de la Turquie.
            Ce matin, le bus a ronflé vers 10h. Nous sommes partis en direction de la mosquée du village voisin (Manavgat), une réplique de la grande mosquée d’Istanbul. Beauté extérieure se découpant dans le ciel avec la chaîne des Monts Taurus en toile de fond. A l’intérieur notre guide nous fait un exposé détaillé: le protocole de la prière, l’historique des tulipes sur les faïences, des tapis synthétiques, l’orientation des lieux de culte. Des fragments d’histoire. Moustafa en est le gardien. Il nous prie toutes de nous couvrir la tête puis reprend activement le bras de son aspirateur. Il travaille d’arrache pied au dépoussiérage des dizaines de mètres carrés de cette grande maison. Les écritures sont en perse sur les murs. Plusieurs médaillons évoquent l’ésotérisme et la science cabalistique. Au sortir de la mosquée, un supermarché me sauve en me vendant une pile adaptée à Canon. Je vais pouvoir commencer à mitrailler.
            Le tronçon qui nous sépare du caravan sérail offre à Gökhan le temps de nous initier à la route de la soie, les caravaniers d’épices. Un documentaire oral bien plus riche que le lieu lui-même converti en attrape-touristes de la pire espèce. Il faut tout acheter et payer pour se faire prendre en photo avec le chameau. C’est insupportable.
            Quatre routes seulement relient l’Anatolie à la Méditerranée à cause de la chaîne de montagne (née en même temps que les Alpes) qui barre le chemin d’est en ouest. Cet accès difficile a permis aux habitants de la côte d’échapper aux diverses invasions. J’achète des cartes, 12 pour un euro. Un pris certainement exorbitant. Pas grand chose à photographier (surtout pas le chameau!). Nous partons vers Alanya, ville touristique à son apogée. C’est la Alicante turque avec ses barres d’immeubles (moins hautes toutefois) qui ont poussé comme des champignons. Sur le toit s’alignent les citernes et les panneaux solaires (la cause étant que les trucs qui étaient antérieurement des nomades se souciaient peu de l’esthétique extérieure de leur maison). [j’entends le voisin ronfler dans la chambre voisine mais bon… ils nous ont changé l’abat-jour et filer deux boîtes de loukoums alors y’a pas de quoi se plaindre]. Sur le promontoire rocheux d’Alanya s’étale la grande bleue. Plus bleue que bleue sous le soleil à son zénith. Eve marchande des taies d’oreiller avec la commerçante. Je l’incite à payer en lires turques au lieu de refiler ses euros. La bouffe dans le restau ressemble à un banquet pour touristes. Des personnes du 64 sont à notre table. Les gens cherche des congénères. Un principe humain.
            L’après-midi est moins intéressante: retrait de cash, achat d’eau, de champoo, court lèche-vitrine dans Alanya, dégustation de bananes sur le bord de la route alors que le soleil rosit, tombe dans l’eau et qu’un bus s’engage en sens contraire sur la quatre voies qui nous ramène à l’hôtel. Gökhan me refourgue ses bananes en descendant du bus et nous voilà avec un régiment étalé à côté de la télé, le pinard d’Iznir (étiqueté France-Loisir) et les boîtes de loukoums.


Mercredi 9 novembre 2005

Journée sur le fleuve qui traverse la ville de Manavga. Sur un bateau de pirates, le troupeau dont je fais partie embarque après un détour aux chutes. Dans un bazar, j’ai acheté le maillot de foot de l’équipe Galatasarail pour 15 lires turques [à l’heure où j’écris, je bois un verre de raki dans le lounge] puis toute la journée, j’ai écouté les commentaires de mes compatriotes. Les premières impressions concernent les draps de l’hôtel, la qualité de la bouffe, la brillance du sol, la propreté du trou des chiottes.
            Les conversations autour de notre sardine grillée appuient légèrement mon mal au ventre, une bulle de «qu’est-ce que je fous là?» qui pèse au fond de mes tripes. C’est pas si évident de s’emmerder sérieusement, de chercher partout les contacts et de voir les appuis glisser les uns après les autres.
            Je suis à l’avant du bateau, plein sud, plein soleil. Je me déplace pieds nus. Les guerres moments intéressants sont en somme avec le guide. Mystérieux guide. Les dialogues dérivent sur le célèbre club de foot. 99% des turcs le supportent. Issu d’une école d’élites qui possède d’ailleurs plus qu’un club de foot, les joueurs du Galata font l’unanimité dans le pays. J’ai essayé le maillot pour moi. Malheureusement, Gökhan me dit que j’ai choisi un joueur conservateur. Tant pis, je l’arborerai sans fierté à mon retour en Europe. Radiohead me lave les oreilles. Demain sera notre anniversaire et lundi était celui de notre rencontre. Où serais-je dans 3 ans? Retournée au pays ou exilée ailleurs?


Jeudi 10 novembre 2005

            I’m taking a ride with my best friend. Coulisse de la musique, le rideau se tire et je vois les beaux paysages de l’Anatolie depuis les fenêtres du bus. Nous avons franchi un autre col dans les monts Taurus. Le départ était fixé à une heure médiane de la nuit mais n’a pas pu avoir lieu à l’heure indiquée. Ce n’est pas quand on vient juste de découvrir de nouvelles cascades que l’on va passer son chemin. Surtout que l’eau était bien verte et fraîche. Un piège m’attendait au détour du bourg. Un barrage de faible envergure je dois avouer. Je me suis vautrée dedans comme un pécheur aux abords d’un lac fertile. J’ai lancé ma canne le plus loin possible. Le poisson a mordu à l’hameçon mais toujours avec cette réserve des pays orientaux en proie à la contemplation. Aux objets précieux, ils se réfèrent pour parler de vous et c’est là-même la source de leurs problèmes et de leurs souffrances. Toutefois, je me suis bien embourbée jusqu’aux genoux. Je savais pourtant que le chemin en sens inverse n’était pas infaisable. A une heure après la traversée du col, j’ai fait machine arrière sans relâcher mes cheveux car la force est dans les cheveux, c’est bien connu. Sacrées molécules de kératine. La force et l’âge des arbres m’attirent plus qu’à l’accoutumée. Chose nouvelle, sans grande conséquence sur la descente sur la plaine. La faune paisible nous regarde sans broncher. Coup de sabot, mouvement sec du cou, pivotement de la tête. Chaleur écrasante par moment mais diminuant avec l’altitude. Le chemin est tout tracé jusqu’à la piste de décollage. Le bois est noir et dense mais mille fois visité alors la peur s’est barrée bien avant que je ne la convoque. Mille fois traversée, mille fois. Un lit de feuilles humides au milieu de rien, au centre du néant. O aventures d’un soir.


Lundi 14 novembre 2005

            La ménagerie s’engueule devant les 3 télécommandes. Le combat de gladiateur a pris fin cette nuit. Je suis montée dans l’avion en titubant de fatigue, ai trouvé ma place sur 26F, un couloir, mais ai vite repéré les rangées vides à l’arrière de la cabine. Dés que l’engin a pris place en altitude j’ai pris d’assaut ces sièges pour m’engouffrer dans leur bras, mon gros sac à main en guise d’oreiller. J’ai posé ma tête et sombré dans un sommeil profond. Un sommeil qui m’appelait depuis longtemps. Des larmes ont glissé sans sanglots, sans bruit. Des larmes lentes et caressantes. Puis le noir. Dans les confins de mon nid fait d’un blouson sur la tête où je respirais mon souffle me revenait. Quand j’ai ouvert les yeux, l’hôtesse m’avait couverte d’une de ces couvertures de cabine. J’avais chaud. Je me suis remise à pleurer. A l’arrivée sur Toulouse, il pleuvait et c’était gris. Il a fallu saluer le groupe. «Bon retour, soyez prudent, contente de vous avoir connu. Adieu. Adieu à jamais». Déjà les visages s’effacent. Il ne reste que des photogrammes, des images figées. Tout à l’heure il a fallu pousser la voiture restée sans batterie, puis chercher des pinces, arrêter les bagnoles dans la rue. «Désolé c’est un diesel, pas une essence. Bon courage!». Pendant une heure, j’ai oublié. C’était reposant. En même temps j’ai compris que sorties de leur contexte, quelle que soit la fraîcheur de leur empreinte, les choses nous paraissent absurdes. C’est ce qu’on appelle avoir du recul. Quelle belle connerie ça aussi. Et voilà une douche de ridicule qui s’abat sur vous, vous mouille l’intégrité en un rien de temps. Je suis transie. De peur, de trouille, de ne pouvoir me débarrasser de cette blessure. Elle doit pourtant se refermer immédiatement. Pour l’instant mon moral peine. Il monte les marches en rampant. Je l’encourage, il est volontaire. Demain nous irons peut-être voir une pièce de Pessoa au TNT. Le couvre-feu est installé dans les banlieues après les émeutes. Comme pendant la guerre d’Algérie. Et hop! Tout le monde chez soi. Spectacle familial accablant, perspectives cassées, des murs de briques à monter. J’ai fourgué toutes les fringues dans la machine à laver. Elle a tourné pendant deux heures puis essorage complet. Maintenant les habits sèchent dans la chaleur moite et légèrement enfumée. J’aimerais me retrouver seule pour méditer cette lettre que je veux écrire. Heureusement il y a cet espoir monumental: l’adresse. Je devrais l’apprendre par cœur pour ne pas risquer d’être prise au dépourvu si j’égare le bout de carton. Des messages qui pourront être lus. Une fenêtre ouverte sur l’infini. La partie n’est pas finie. Mais je veux ne retenir à cette heure que la montée des marches. Bof! tout cela s’amoncellera dans ma mémoire pendant plusieurs jours puis les images s’en iront une à une. Je ne retiendrai que ces instants fabuleux, assise à l’avant du bus, Radiohead à l’écoute, regardant le défilé des montagnes.