samedi 14 juin 2008

I WANTED TO BE A PART OF IT - NYC NYC

Vendredi 28 mai 2004 – salle d’embarquement

7 heures dans l’avion. 7 heures sans bouger. J’ai préparé des sandwichs de pains de mie tomates / fromage, des pommes et des galettes à l’orange. Un vrai pique-nique comme celui que l’on emporte dans les cars scolaires lors des voyages de fin d’année. Je parts à New York.

Il y a – car dans un journal il y a beaucoup de “il y a” – un gosse qui ressemble au petit de Kramer contre Kramer. Il porte un pantalon qui semble retenu par des bretelles laissant un espace considérable entre la cheville et la chaussure et ses cheveux sont coiffés au bol.
Pour passer dans la zone d’embarquement, tout le monde a dû se défroquer (ceinture, lunette, clés, montre, chaîne) avant de s’enfiler dans le portique détecteur-de-métaux. Des hommes, je suppose d’affaires –de quelles affaires, sales affaires... – se précipitaient pour déposer sur le tapis roulant leur unique bagage, me coupant le passage systématiquement jusqu’à ce qu’un de ces énergumènes, voyant mon embarras et ma légère irritation m’offre de me glisser devant lui avec un “up to you”. Je l’ai remercié. Bon après il ne m’a pas suivi pour me proposer une conversation et c’est bien dommage, voyez-vous car je ne lui aurais pas refusée. C’est pas qu’il étais beau, je n’en sais rien, à peine ai-je aperçu son visage, mais ce mystère qui se glisse quand quelqu’un se montre courtois envers vous, on a bien envie de l’éclaircir.

En montant dans la cabine un thème joué à la flûte de pan nous accompagnait: “comme un avion sans ailes” de Charlelie Couture. Je relève que la compagnie Iberia ne manque pas d’humour.

Dimanche 30 mai 2004 – Appart de Schéhérazade, W 12th street
Retour à 4 heures du matin du Hudson Hotel. Palais de cristal, sol à la Billie Jean, cocktails exorbitants pour le porte-monnaie. Artificiel, superficiel, robes de design et haute couture. Gente guapa de NYC. Pause clope sur le trottoir devant l’hôtel en compagnie d’une portugaise. Luxe, luxure, fauteuil en peau de léopard, table basse en verre aux coupes remplies de liquides colorés. Schéhérazade, mon amphitryon, était sortie de sa tante touareg aux voiles mordorés et blancs pour m’emmener dans les salons des princes déchus des villes.
Hip hop, Prince and you don’t have to be rich to be my girl. Call girl avec des big boops, des seins comme des ballons de foire moulés dans un top à paillette blanc, dos nu. Un gros blond désabusé vieux et sou suivait mollement la cadence de la poupée de silicone.

21h. Retour de seaport Area, Civic Center and Financial district. Lower east side et boutiques de mode. Chinatown et ses étalages de fruits rouges, jaunes et crème. Repas dans une échoppe vietnamienne. Astor place et son florilège de punks et de boutiques de tatouage et de piercing. On entre chez un disquaire “other music” sur la 15th east street pour trouver des vinyles du label UR. Le garçon est charmant, il me montre un bac où je peux les trouver mais me recommande deux autres disquaires dans le quartier. Rêve. Je fais le tour des rayons, me cache derrière un étal de CD sounds of Brazil, le traque avec mon objectif, son visage entre dans le cadre. Clic. En toile de fond: les pochettes de new electronic house. De retour en Europe, elle révèle ses photos, mets à part le mystérieux vendeur de “other music”. L’adresse? Un petit carton orange sur lequel il avait noté les croisements de rues: “15E 4th St”. Elle glisse la photo dans une enveloppe et la poste. Au dos on pouvait lire “thank you for your help”.

Immeuble Haussmanien sur la 79th street où l’on s’arrête dans un supermarché. Trouver du Brie, du fromage fumet et du humus pour Schéhérazade. Maintenant, Shéhérazade se prépare pour recevoir ses amis dans son appartement. Elle a disposé des bougeoirs décorés de perles oranges qui pendent en gouttelettes, fait brûler de l’encens dans une boîte en bois de santal, a tiré les voilages satinés qui pendent aux fenêtres.


Lundi 31 mai 2004
Pluie sur Manhattan. L’antenne de l’Empire State Building est dans le fog. Time Square et ses écrans publicitaires géants à cristaux liquides. Annonces de shows. Pluie, pluie. Je chaloupe sur la 42th street, un parapluie dans une main, le Canon dans l’autre. Les voitures glissent sur la chaussée à grande vitesse soulevant des vagues de flotte qui échouent sur les pantalons ou les jambes nues d’autres touristes.
Plein ouest sur la 5th avenue. St Patrick church, Rockefeller center, radio City Hall. Boutiques chics sur la 57th St. Puis descente de Park Avenue jusqu’à la gare de Grand Central. Spectacle de Hip hop dans le métro de time square. Un black passe avec un seau pendant l’exhibition de ses compères. Un seau bleu, rempli de billet de un dollar.

Mardi 1er juin 2004
Journée entière au Metropolitan Museum Of Art. Trekking sur deux étages avec ma cargaison de dépliants, audiophone, appareils photos. Je n’en suis sortie qu’à la fermeture. Les heures de traversées des salles et des sables furent longues. Art egyptien pour commencer. Temple de Dendun. Patio de l’aile américaine avec ses verrerie Tiffany. Art médiéval, vierge à l’enfant en bois. Panneau d’ivoire représentant des scènes du nouveau testament. Vitraux, tapisserie, cruche, jarre, poteries, verrerie fine. Sculpture européenne. Art moderne. Picasso, Juan gris, Francis Bacon, Max Ernst, Dali, Fernand Léger, Matisse. Art d’Afrique et d’océanie. Couple de statuettes africaines, masques mayas, péruviens, africains. Pectoraux et pendentifs en or de l’époque précolombienne. Chaise, fauteuils. Art romain et grec. Vases, bas-reliefs et statue de marbre représentant Kouros. Scènes de la vie de cour nommée “les liaisons dangereuses”. Art décoratif: studio italien en bois. Art byzantin, armures, armes. Art asiatique: ensemble de vases en bronze dont les hanses sont ornées de têtes de taureaux. Sculptures de Bouddha. Estampes chinoises représentant des paysages à valeur hautement symbolique (sommet des montagnes: empereurs, chaînes moins élevées: sujets, saisons: humeurs des hommes). Calligraphies chinoises aux sceaux rouges. Peintures européennes: Vermer, Bronzino, Veronese, Van Eyck, Bruegel, Van Rijn. Art Modern: Pollock. Peinture du 19ième; Toulouse-Lautrec, cezanne, Degas, renoir, Gauguin, Manet, Van Gogh, Courbet, Corot.................................................
Après, on dit que c’est à Firenze que l’on attrape le syndrome de Stendhal.

Mercredi 2 juin 2004
Visite du muséum d’histoire naturelle. Achat d’un livre sur l’évolution que je lis dans le parc voisin, au soleil, en sirotant un café déguelasse. Après le musée, traversée de Central Park et descente sur Astor Place. Pur magasin de vinyles “Dance Trucks” à l’angle de la 3th St et de la 1srt avenue. Des backs remplis de galettes de polychlorure classées par genre, des platines à disposition pour une écoute en live. Le vendeur avec ses petites dread et ses lunettes fumées m’indiquent le bas UR. Je jubile.
Quadrillage de l’East Village à la recherche d’une épicerie yeddish. Je ramène un pain à l’anis et au cumin. Sur le chemin du retour, je m’arrête sur la sur la 79th St pour écrire mes cartes postales sur un banc du terre-plein au milieu de l’avenue, derrière les bacs à fleur. Pas de café internet.
Fabian lance interpole pour avoir de mes nouvelles. Il a trouvé l’adresse de Schéhérazade sur le site de Columbia University et lui a écrit afin de s’assurer que j’ai pas été la victime d’un rapt à NY. C’est vrai, je n’ai eu aucun contact avec l’Europe depuis que je suis partie. C’est que, depuis une semaine, je ne suis plus dans le cercle de la réalité; je voyage, je vis ailleurs, je suis dans un autre monde.

Cette nuit, j’ai fait un rêve sur la guerre de sécession: bataillon sud contre bataillon nord. J’ai ouvert les yeux à 8 heures. Douche et café fumant avant de rejoindre les salles de la biodiversité. Comment les peuples d’Amazonie chasse le singe: suivi pas à pas du primate dans les arbres. Lorsque la proie s’arrête, l’indien assisté de son jeune fils imbibe de poison des petites flèches aiguës. Il les tire à l’aide d’un bâton creux à plusieurs mètres de hauteur. Les joues se gonflent comme celle d’un trompettiste. Un fois le singe touché par les projectiles, il ne dégringole pas, chose curieuse. Le chasseur commence alors l’ascension du tronc d’arbre en faisant avec ses jambes des mouvements de crick de bagnole.

Soirée dans un club de jazz sur Columbia Avenue et dernière bière dans un Irish Pub «The parlour» où les assourdissantes voix de karaoké nous font fuir dans nos pénates. Il fait nuit depuis longtemps. Schéhérazade se fait un brushing dans la salle de bain. Une musique s’écoule de la radio: You give me fever.

Jeudi 3 juin 2004
Empire State Building. Dans la queue, j’aperçois un type qui était avec moi dans l’avion. Depuis le ciel j’envoie un e-mail à Fabian en réponse à ses messages désespérés divisés en quatre parties. Partie 1: Hola. Partie 2: stress. Partie 3:gros flip. Partie 4: tout va bien. A l’instar des épisodes de Friends, une progression, de l’action, des rebondissements, happy end.
Pause dans Bryan Park à l’heure où les new-yorkais déjeunent. Salade verte pour les femmes en tailleur, glace orange mangée à la petite cuillère pour la jeune ingénue, sandwich brioché croqué par les costard-cravate, grand verre en carton rempli de liquide siroté en regardant les passants sous les lunettes de soleil.
Un peu plus tard: Chelsea, l’équivalent WEST du lower east side. Dans la 22nd street, quartier des galeristes, je tombe sur une expo d’Andreas Gursky. Toujours des photos de 2m x 1,5m: concert de Madonna en 2001, congrès du parti communiste français, combat de boxe, Paris… Sur la 20th, église épiscopale St Peter, grand parc limité par des roseraies, arbres altiers aux feuilles fraîchement vertes. Chaises longues sur les pelouses et prélassement au soleil d’une dame en compagnie d’une petite fille. Je regarde le spectacle à travers la grille et passe mon chemin en traînant, sous le soleil de printemps, mon sac plein à craquer. Hôtel Chelsea sur la 23th, balcons en fer forgé exhibant des tournesols, motifs typiques du style reine Anne. Andy Warhol et Pollock se logèrent ici. Magasin Macy sur la 34th mais hors de prix. Sur la 79th, j’achète des cerises et des olives fourrées aux amandes.

samedi 5 juin 2004
Je n’écris plus depuis deux jours. Salle d’embarquement, porte 22, terminal 8 JFK. Nous venons de passer deux heures debout dans la file d’attente du checking. Les gens campent, s’assoient, sortent les sandwichs, conversent comme dans la nouvelle de Cortazar. Plantage informatique ou virus, nous voilà condamnés dans le hall, le regard tourné fidèlement vers les comptoirs d’Iberia. Les caractéristiques du voyage: des heures et des heures d’attente dans l’immobilité au crochet de puce électronique.

Jeudi soir, sortie vers minuit pour le Viscaya, boîte de Hip Hop pour gens friqués. L’espace d’un moment, après mon premier martini-pomme à 13 US $, je suis écœurée par cette ambiance et cette faune du lounge. Ecœurée jusqu’au plexus. J’ai envie de dire à ma Schéhérazade: je rentre, je prends un cab, je m’enfuis. Les corps ondulent mais cela n’a rien de gracieux, de sensuel. Ce sont des vomis vertigineux de «look at me». Les micro-jupes à volant, les cocaïnomanes absents, la non-décadence en somme. Ambiance aseptisée des salles lounges. Je suis fatiguée mais je descends dans la fosse et tombe en transe. Des mains qui se glissent autour de ma taille comme deux serpents inopportuns sur le corps du novice, le dompteur se tient caché dans mon dos pendant plusieurs minutes. Je n’éprouve pas le besoin de savoir qui c’est, ça m’est égal du moment que la danse continue. Après une ou deux chansons, je m’aperçois que c’est un black mais dans le noir, à peine se font-ils sentir. J’ai continué sur cette ligne toute la nuit, jusqu’au taxi. Comme générique de fin: les grattes ciels et ses rangées de rectangles dorés; un microarray géant défile depuis le taxi-espace avec en prime une musique de nuit: FANTASTIC.

Vendredi, d’ouest en est je longe la 125th st dans Harlem. L’arrivé en métro se fait comme à Barbés: des rails aériens, des blacks par wagon. C’est difficile de faire des photos, les gens sont sur leurs gardes. Je passe devant le regretté Lenox Lounge, le club de jazz fréquenté par les gens du quartier où nous n’avons pas été.
En milieu de journée, je passe au Guggenheim, un bijoux d’architecture en colimaçon mais je me choppe une frustration terrible à cause des salles fermées. Il y a deux beaux tableaux de kandinsky et de Pier Mondrian, des photos sur le thèmes des mains: Robert Capa, Cartier-Bresson, Nan Golding. Cezanne, Picasso, Manet.
Je descends sur Chinatown où j’ai bu le café le plus dégeulasse de ma vie. Les odeurs qui montent des caniveaux me rappellent certaines rues de l’Inde. Retour à la maison avec arrêt pour acheter des muffins. Ces gâteaux me provoquent les mêmes symptômes que la faune des lounges, moi qui salivais dans les vitrines les premiers jours à NY. Le dernier me reste sur l’estomac.
Azna est chez Malika/Schéhérazade. Azna est marocaine. On met du rail et les deux copines se mettent à effeuiller les paroles arabes de ce vieux titre algérien, Ya Rayah. C’est un homme qui dit à un cadet: tu parts mais il ne sert à rien de partir. Ce que tu cherches, que tu ne trouves pas ici, l’ailleurs ne te le donnera pas. Je suis parti et je suis revenu. Toi aussi tu reviendras. On parle de l’émigration, du ghetto, de la ségrégation, des moyens pour s’en sortir. Pendant que Schéhérazade revêt ses habits du soir, Azna me lance sur l’Andalousie, la littérature arabe et le cinéma du Magreb. Le café est sorti, on fait un repas frugal de salade et puis de salade et puis on y va.

Je bois à nouveau à la fontaine des inspirations et, encore une fois, l’événement déclencheur est le voyage. Le voyage où l’on ne trimballe rien de la terre d’où l’on vient si ce n’est quelques maigres objets. Le voyage où le sujet est sorti de son contexte et placé de manière soudaine dans un univers différent. J’ai les idées qui s’envolent comme des papillons effrayés.

Ce matin reveil difficile avec hangover. Je fais un brunch léger, me douche et parts. Le ciel est couvert, gris, bas. Le musée Whitney ouvre à 11 a.m. Une seule salle de Edward Hopper. Peintures Réalistes des années 50. Hart Benson.
Ultime traversée de Central Park pour prendre le métro sur la 72th st. Au croisement de plusieurs allées, un mandala à la mémoire de John Lenon a été confectionné sur le sol: le symbole peace and love dessiné en pétales de rose multicolores. Plus loin, une chaussure à talon noire gît sur les pavés. Alors que je cadre l’étrange nature morte, j’entends une voix dans mon dos: «tu as vu le film blue velvet?». Je me retourne: oui. «Il y avait l’oreille perdue, ça c’est la chaussure perdue!». C’est un cubain au teint buriné portant un bonnet de laine. Il rit. Je ris aussi.

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